Le mal des transports se règle souvent avec un comprimé. Le problème, c’est quand les comprimés s’enchaînent: somnolence, confusion, puis agitation, délire, parfois convulsions. Oui, le diménhydrinate peut basculer en toxidrome anticholinergique. Ce guide pratique vous montre comment reconnaître les signes, quoi faire à la minute, ce qui se passe à l’hôpital et comment éviter que ça se reproduise.
- TL;DR: suspectez un surdosage diménhydrinate si agitation, hallucinations, pupilles dilatées, peau sèche/chaude, tachycardie, somnolence marquée.
- Agissez vite: ne faites pas vomir, mettez la personne en sécurité, notez la dose/heure, appelez un centre antipoisons ou les urgences si symptômes.
- À l’hôpital: surveillance cardiaque, charbon activé si précoce et voies aériennes protégées, benzodiazépines pour agitation/convulsions, bicarbonate si QRS élargi, refroidissement si hyperthermie.
- Prévention: respect strict des doses, pas d’association avec alcool ou autres antihistaminiques sédatifs, rangement sécurisé, un seul soignant «capitaine» du traitement.
- Règle simple: en cas de doute, demandez conseil à un centre antipoisons; pour tout symptôme modéré à sévère (délire, convulsions, évanouissement), appelez les urgences.
Symptômes: repérer vite le tableau anticholinergique
Le diménhydrinate (un antihistaminique de première génération) agit sur le cerveau et le système nerveux autonome. En excès, il déclenche un tableau anticholinergique typique. Le délai d’apparition est souvent de 30 à 120 minutes avec formes immédiates, plus tardif avec les formes à libération prolongée.
Signes précoces et fréquents:
- Somnolence, étourdissement, troubles de l’équilibre.
- Bouche sèche, vision floue, pupilles dilatées et lentes à la lumière.
- Tachycardie (cœur rapide), rougeur cutanée, peau sèche et chaude.
Signes de gravité (urgence):
- Agitation marquée, confusion, hallucinations, délire.
- Convulsions, rigidité musculaire, chute ou perte de connaissance.
- Hyperthermie (> 38.5 °C), douleurs musculaires, urines foncées (signe possible de rhabdomyolyse).
- Douleur thoracique, palpitations irrégulières, malaise lié à des troubles du rythme.
- Rétention aiguë d’urine, surtout chez l’homme avec adénome prostatique.
Chez l’enfant, l’excitation paradoxale peut dominer: agitation, cris, comportements désinhibés, puis somnolence brusque. Chez la personne âgée, une confusion aiguë peut apparaître dès des doses «seulement» élevées, avec risque de chute.
Red flags qui ne se discutent pas: convulsions, délire franc, évanouissement, respiration anormale, température élevée, douleur thoracique ou rythme cardiaque irrégulier. Appelez les urgences.
Exposition (estimation mg/kg) | Tableau clinique le plus probable | Conduite initiale (indicative) |
---|---|---|
< 5 mg/kg | Aucun symptôme ou légers: somnolence, bouche sèche | Surveillance à domicile si asymptomatique, hydratation, avis centre antipoisons si doute |
5-10 mg/kg | Anticholinergique modéré: tachycardie, mydriase, agitation légère | Contact centre antipoisons; consulter si symptômes progressent ou si personne vulnérable (enfant, âgé) |
10-20 mg/kg | Agitation/délire, hyperthermie, convulsions possibles | Évaluation aux urgences immédiate |
> 20 mg/kg | Risque élevé d’arythmies, convulsions, coma | Urgences, surveillance en milieu hospitalier |
Ces fourchettes sont issues d’observations cliniques (American Academy of Clinical Toxicology 2023; Tox Info Suisse 2024) et restent approximatives: la sensibilité varie selon l’âge, le poids, les comorbidités, les associations (alcool, benzodiazépines, antidépresseurs tricycliques), et la galénique.
Que faire immédiatement: les bons gestes, sans improviser
Les premières minutes comptent surtout pour éviter des complications évitables comme l’inhalation lors de vomissements, la déshydratation ou un coup de chaleur.
- Sécurisez l’environnement: asseyez ou allongez la personne, retirez tout ce qui pourrait la blesser en cas d’agitation ou de chute.
- Ne faites pas vomir. N’administrez rien «pour contrer» (café, alcool, autre antihistaminique). Évitez de faire boire si la personne somnole.
- Notez clairement: produit exact (diménhydrinate), dose approximative (nombre de comprimés/capsules, mg), heure d’ingestion, poids, autres médicaments/alcool.
- Surveillez la respiration, l’état de conscience, la température. Si la personne boit sans risque, proposez de petites gorgées d’eau.
- Hyperthermie suspectée? Rafraîchissez: retirer les couches de vêtements, ventilateur, linges tièdes (pas de glace directe).
- Contactez un centre antipoisons pour avis personnalisé. En cas de symptômes modérés à sévères, appelez les urgences.
- Placez en position latérale de sécurité si somnolence importante ou nausées.
- Gardez l’emballage des comprimés pour le montrer aux secours.
Mini arbre de décision simple:
- Pas de symptôme et dose faible connue chez un adulte non vulnérable → appelez un centre antipoisons pour avis; surveillez 8-12 h.
- Symptômes qui progressent, dose inconnue, enfant/âgé/enceinte, co-ingestion (alcool, sédatifs) → urgences.
- Convulsions, délire, malaise, respiration anormale, température élevée, douleur thoracique → urgences immédiates.
Erreurs à éviter:
- Multiplier les «antidotes maison» (café fort, douche froide): inefficaces et parfois dangereux.
- Conduire pour «gagner du temps»: risque pour tous. Appelez les secours.
- Donner du charbon activé à domicile sans avis: risque d’aspiration si somnolence.
Ce qu’en disent les sources: les recommandations de l’American Academy of Clinical Toxicology (2023) et les fiches d’information de l’EMA (2024) insistent sur la sécurité des voies aériennes, la surveillance cardiaque et le traitement symptomatique ciblé.

Aux urgences: examens, traitements et durée de surveillance
Aux urgences, l’équipe vérifie d’abord les ABC (Airway, Breathing, Circulation), puis confirme le tableau anticholinergique. Attendez-vous à:
- Monitoring cardiaque et oxymétrie, tension, température.
- Électrocardiogramme (ECG) pour dépister un élargissement du QRS ou un QT long.
- Prélèvements: électrolytes, fonction rénale/hépatique, CK (rhabdomyolyse), gaz du sang si nécessaire; recherche de co-ingestions selon contexte.
Traitements usuels (selon l’état clinique):
- Charbon activé oral/sonde dans les 1-2 h si ingestion significative et voies aériennes protégées.
- Benzodiazépines (ex. diazépam, lorazépam) pour agitation et convulsions.
- Bicarbonate de sodium IV en cas de QRS élargi (> 100-120 ms) ou arythmies liées à un effet stabilisant de membrane.
- Refroidissement externe et fluides IV si hyperthermie et déshydratation.
- Son d’alimentation/sonde urinaire si rétention sévère; correction prudente des électrolytes.
- Physostigmine IV: option réservée à des mains expertes pour un délire anticholinergique sévère sans élargissement du QRS ni co-ingestion d’antidépresseurs tricycliques; nécessite un monitorage rapproché (référence: AACT 2023).
Ce qui ne marche pas ou peu: la dialyse n’est pas utile (volume de distribution important). Les «antidotes» non spécifiques n’ont pas d’intérêt. Les lipides IV ne sont pas standards ici.
Durée de surveillance:
- Forme immédiate: souvent 6-12 h si symptômes légers, plus si agitation/ECG anormal.
- Libération prolongée: 12-24 h, parfois plus si doses massives.
- Enfant, personne âgée, comorbidités: seuil d’observation et d’hospitalisation plus bas.
À la sortie, on discute prévention, interactions et signes qui doivent faire reconsulter (agitation qui revient, fièvre, urines brunes, douleurs musculaires, palpitations).
Prévenir: posologies sûres, interactions à éviter, checklists, FAQ et prochaines étapes
Prévenir reste la meilleure stratégie. Le diménhydrinate est en vente libre dans de nombreux pays européens, y compris en Suisse, mais «en vente libre» ne veut pas dire «sans risque».
Rappels de posologie (vérifiez toujours la notice du produit que vous avez):
- Adulte: 50-100 mg 30-60 min avant le voyage, puis toutes les 4-6 h si besoin; dose max journalière habituelle: 400 mg.
- Enfant 6-12 ans: 25-50 mg toutes les 6-8 h; dose max 150 mg/j.
- Enfant 2-6 ans: 12.5-25 mg; demandez conseil à un professionnel.
- < 2 ans: uniquement sur avis médical.
Interactions et situations à risque:
- Alcool et sédatifs (benzodiazépines, opioïdes): majoration de la somnolence et du risque respiratoire.
- Autres antihistaminiques de première génération (diphénhydramine, chlorphénamine): cumul anticholinergique.
- Antidépresseurs tricycliques, antipsychotiques: risque cardiaque et confusion accrus.
- Hypertrophie bénigne de la prostate, glaucome à angle fermé, troubles cognitifs: sensibilité augmentée.
- Grossesse/allaitement: demandez un avis personnalisé; le diménhydrinate est souvent utilisé, mais la balance bénéfice/risque se discute, notamment au 1er trimestre et en cas d’allaitement (somnolence possible chez le nourrisson).
Checklist «zéro accident» avant un trajet:
- Un seul médicament contre le mal des transports à la fois. Pas de doublon avec d’autres antihistaminiques pris pour allergies ou sommeil.
- Réglez une alarme «dose prise» sur votre smartphone; n’en reprenez pas «au ressenti».
- Évitez l’alcool le jour de la prise. Hydratez-vous.
- Rangez les comprimés hors de portée des enfants et des animaux; gardez-les dans leur boîte d’origine.
- Notez votre poids et vos traitements habituels sur une carte «médicaments» dans votre portefeuille.
Questions fréquentes:
- Combien de comprimés est «trop»? Chez un adulte, dépasser la dose max (souvent 400 mg/j) ou avaler d’un coup une dose > 10 mg/kg augmente nettement le risque de délire/convulsions. Mais il existe de grandes variations: ne vous fiez pas qu’au nombre de comprimés; appelez pour avis.
- Le charbon activé à la maison, c’est utile? Pas sans avis médical. Si la personne somnole, c’est dangereux. Il est utile tôt à l’hôpital quand les voies aériennes sont protégées.
- Faire vomir aide? Non. Le risque d’inhalation est réel.
- Y a-t-il un «antidote»? Pas d’antidote universel. La physostigmine peut renverser un délire anticholinergique, mais seulement dans des conditions strictes à l’hôpital.
- Conduite et diménhydrinate? Même aux doses usuelles, la somnolence peut altérer la conduite. Après un surdosage, ne conduisez pas tant que vous n’êtes pas revenu à votre état normal et que le médecin ne vous y autorise pas.
- Et si c’est un enfant? Les enfants sont plus sensibles; des doses «modérées» peuvent suffire à déclencher agitation puis somnolence. Consultez plus facilement et surveillez plus longtemps.
Pro tips simples à retenir:
- Si vous ne vous souvenez plus de la dose déjà prise, considérez qu’elle a été prise et n’en reprenez pas.
- Un seul «capitaine» du traitement dans le groupe familial pendant le voyage pour éviter les doubles doses.
- Préférez tester la tolérance la veille du départ à une heure où vous n’avez rien d’important à faire, avec une dose standard, pour éviter les surprises en route.
Prochaines étapes et dépannage selon scénario:
- Vous avez pris une dose excessive mais vous vous sentez bien: stoppez toute prise, hydratez-vous, évitez l’alcool et conduites à risque, appelez un centre antipoisons pour un plan de surveillance (signes à guetter pendant 12 h: agitation, fièvre, palpitations, somnolence inhabituelle).
- Les symptômes légers augmentent (tachycardie qui s’emballe, agitation, confusion naissante): faites-vous accompagner et allez aux urgences. Mieux vaut arriver trop tôt que trop tard.
- Un proche est confus/agité: parlez calmement, baissez les stimulations (lumière, bruit), sécurisez la pièce, attendez les secours; ne tentez pas de le maîtriser physiquement si cela vous met en danger.
- Forme à libération prolongée ingérée: allongez la durée de surveillance et gardez un seuil plus bas pour consulter, car les pics peuvent être retardés.
- Associations suspectes (alcool, hypnotiques, antidépresseurs tricycliques): consultez sans tarder; ces mélanges décuplent les risques cardiaques et neurologiques.
Crédibilité et sources: les éléments ci-dessus s’appuient sur des lignes directrices et revues cliniques récentes, notamment American Academy of Clinical Toxicology (guide anticholinergiques, 2023), Tox Info Suisse (rapport 2024 sur expositions aux antihistaminiques), Organisation mondiale de la Santé (Formulaire modèle, édition 2025) et monographies EMA de produits contenant du diménhydrinate (mise à jour 2024). Les décisions individuelles restent du cas par cas.
Dernier rappel: si vous avez le moindre doute, appelez un centre antipoisons ou les services d’urgence. L’évaluation précoce évite des complications, et la grande majorité des patients s’en sortent bien avec une prise en charge rapide et ciblée.
4 Comments
Éric B. LAUWERS
On prend trop souvent le diménhydrinate à la légère, ça peut virer sérieux très vite et pas uniquement pour les étourdis.
La somnolence n'est que la partie visible du problème, derrière il y a tachycardie, mydriase, déshydratation et, dans certains cas, un vrai tableau anticholinergique qui déstabilise le rythme et la température corporelle.
Sur le terrain il faut d'abord sécuriser la personne, noter la dose et l'heure, et éviter absolument toute tentative de vomissement si la personne est somnolente.
En jargon, penser aux complications sur le QRS et au risque d'arythmie quand on dépasse largement les 10 mg/kg, surtout en association avec des tricycliques ou de l'alcool.
Le charbon activé a sa place mais uniquement si les voies aériennes sont protégées et si l'ingestion est récente.
julien guiard - Julien GUIARD
Le problème, c'est la banalisation totale des médicaments en vente libre.
Les gens avalent tout et n'importe quoi comme s'il s'agissait de bonbons.
Ce guide rappelle des évidences, mais ces évidences sont indispensables.
La physiologie derrière l'antagonisme muscarinique mérite d'être rappelée, parce que ça aide à comprendre pourquoi une simple dose peut devenir catastrophique chez certaines personnes.
Une dose massive provoque un tableau marqué par mydriase, tachycardie, hyperthermie, et c'est la cascade qui suit qui compromet la prise en charge si on traîne.
L'usage de physostigmine est un choix clinique lourd de conséquences et il n'est pas à manier à l'aveugle.
En attendant l'hôpital, la priorité est la protection des voies aériennes, la surveillance cardiaque et la gestion calme de l'agitation.
Les benzodiazépines restent la base pour calmer et prévenir les convulsions, mais l'équipe doit rester vigilante aux paramètres vitaux.
Les enfants et les personnes âgées ont une fenêtre de sécurité beaucoup plus étroite, et ça doit influencer la décision d'orientation vers les urgences.
La prévention passe aussi par l'information au comptoir de pharmacie et par une signalétique claire sur les boîtes, pas seulement par des notices illisibles.
La règle du «capitaine du traitement» dans une famille en voyage, c'est un truc simple et efficace pour éviter les doubles doses.
Il faut arrêter de normaliser la prise d'alcool avec ces médicaments, l'effet additif est souvent sous-estimé.
Les cliniciens doivent garder en tête que les signes neuropsychiatriques peuvent dominer et être confondus avec une intoxication psychotrope ou un sepsis, donc vigilance et anamnèse sont essentielles.
Au final, la chaîne de sécurité commence bien avant l'urgence: produits accessibles, information claire, et prises responsables.
Ce guide pose des repères concrets qui doivent être diffusés largement.
Nicole Webster
Il faut insister sur la responsabilité collective envers les plus vulnérables, en particulier les enfants et les personnes âgées.
Donner une dose sans vérifier l'âge, le poids et les autres médicaments, c'est jouer avec la santé d'autrui et priver la personne d'une information essentielle pour sa sécurité.
Le rappel des signes de gravité et de l'arbre décisionnel est précieux parce que, dans l'urgence, les proches paniquent et prennent des décisions impulsives qui aggravent souvent la situation.
Sur le plan moral, la distribution libre de molécules actives sans accompagnement éducatif est discutable, surtout quand on voit les interactions dangereuses possibles avec l'alcool ou les antidépresseurs tricycliques.
Ranger les comprimés hors de portée des enfants, c'est un geste simple qui évite beaucoup d'appels aux centres antipoisons et de nuits blanches aux urgences.
De plus, la recommandation de tester la tolérance la veille du départ est pragmatique et montre une vraie attention au bien-être individuel, loin des slogans simplistes.
La fiche pratique sur la durée de surveillance selon la galénique et la libération prolongée est une information clinique qui doit être mieux connue des pharmaciens et des soignants.
En particulier, la mention explicite des limites du charbon activé et des risques d'aspiration doit être martelée partout.
Ce texte fait le pont entre la prévention et l'action immédiate, et c'est ce type d'outils concrets qui sauve des gens.
Il reste cependant à sensibiliser davantage les prescripteurs à la communication claire lors de la délivrance en officine.
Elena Lebrusan Murillo
Je confirme l'importance d'une information standardisée et formelle à la délivrance pharmaceutique.
Les notices actuelles sont trop techniques et mal mises en page, ce qui conduit à des incompréhensions et à des erreurs d'administration.
Une étiquette additionnelle mettant en évidence la posologie maximale journalière, les interactions majeures et les signes d'alerte immédiats serait un progrès évident.
La stratégie de prévention doit être systématique et réglementée, et non laissée à l'initiative individuelle ou à la bonne volonté du professionnel.
Il convient également d'harmoniser les messages entre prescripteurs et pharmaciens afin que le patient reçoive des consignes claires et identiques.