La diarrhée après un traitement antibiotique n’est pas toujours un simple effet secondaire. Parfois, elle cache une infection bien plus sérieuse : Clostridioides difficile. Ce bactérie, autrefois appelée Clostridium difficile, est la cause la plus fréquente de diarrhée liée aux hôpitaux aux États-Unis, avec près de 500 000 cas par an. Ce n’est pas une infection banale. Elle peut déclencher une colite pseudomembraneuse, une inflammation grave du côlon qui peut être mortelle, surtout chez les personnes âgées ou affaiblies.
Comment une simple prise d’antibiotiques peut-elle provoquer une infection mortelle ?
Votre intestin abrite des milliards de bactéries bénéfiques qui maintiennent l’équilibre. Quand vous prenez un antibiotique - même un simple traitement pour une infection de la gorge - il ne distingue pas les mauvaises bactéries des bonnes. Il les élimine toutes. Ce déséquilibre laisse une place vide, comme un jardin dénudé après un incendie. C’est là que Clostridioides difficile entre en jeu. Elle s’installe, se multiplie et produit deux toxines (A et B) qui détruisent les cellules de la paroi intestinale. Résultat : diarrhée aqueuse, crampes abdominales, parfois du sang dans les selles, et dans les cas graves, une distension de l’abdomen, une tachycardie, voire une perforation du côlon.
Le risque ne se limite pas aux hôpitaux. Bien que 75 % des cas soient liés à un séjour hospitalier, 25 % surviennent en dehors, chez des personnes qui n’ont jamais mis les pieds dans un établissement de santé. La prise d’antibiotiques comme la clindamycine, les céphalosporines de troisième ou quatrième génération, les fluoroquinolones ou les carbapénèmes augmente considérablement le risque. Chaque jour passé à l’hôpital après un traitement antibiotique augmente le risque d’infection de 1,5 %.
Qui est le plus à risque ?
Les personnes de plus de 65 ans représentent 80 % des cas de Clostridioides difficile. Leur système immunitaire est plus faible, leur microbiote moins résilient, et elles prennent plus souvent des antibiotiques. Mais ce n’est pas tout. Les personnes atteintes de maladies inflammatoires de l’intestin (comme la maladie de Crohn ou la rectocolite ulcéreuse) voient leur risque multiplié par 4,2. Les patients ayant subi une chirurgie digestive, surtout une intervention sur l’intestin, ont entre 8 et 12 % de chances de développer une infection. Les personnes immunodéprimées, celles qui ont un tube gastrique ou qui prennent des médicaments pour réduire l’acidité stomacale (comme les PPI) sont aussi plus vulnérables.
Le risque ne s’arrête pas à la prise du médicament. Les symptômes peuvent apparaître dès le premier jour de traitement, mais aussi jusqu’à huit semaines après l’arrêt des antibiotiques. C’est pourquoi beaucoup de gens confondent la diarrhée avec un effet secondaire normal. Ils ne consultent pas. Et c’est là que le danger augmente.
Diagnostic : un défi pour les médecins
Il n’y a pas de test simple. Une simple analyse des selles ne suffit pas. Clostridioides difficile peut être présente dans l’intestin sans causer de symptômes - on parle de colonisation asymptomatique. Jusqu’à 50 % des patients hospitalisés portent la bactérie sans être malades. Alors comment savoir si c’est une infection active ou juste une présence passive ?
Les recommandations du CDC préconisent une approche en deux étapes : d’abord un test de détection de la glutamate déshydrogénase (GDH), un marqueur présent chez la plupart des souches. Si le résultat est positif, on fait un second test pour détecter les toxines (par immuno-essai ou PCR). Cette méthode réduit les faux positifs et les faux négatifs. Un seul test peut manquer jusqu’à 30 % des cas. Et si vous avez des selles liquides, des crampes, et que vous avez pris un antibiotique récemment, votre médecin doit considérer Clostridioides difficile même si le test est négatif.
Le traitement a changé - et il ne faut plus utiliser ce médicament
Il y a dix ans, la métronidazole était le traitement de première intention. Aujourd’hui, elle est formellement déconseillée. Les études montrent qu’elle échoue plus souvent, augmente les récidives et n’est pas efficace contre les souches hypervirulentes comme la NAP1/027.
Depuis les mises à jour des directives de l’IDSA et de la SHEA en 2021, deux traitements sont recommandés comme première ligne :
- Fidaxomicine : 200 mg deux fois par jour pendant 10 jours. Elle cible spécifiquement Clostridioides difficile sans détruire autant de bactéries bénéfiques. Son avantage majeur : elle réduit les récidives de 40 % par rapport à la vancomycine.
- Vancomycine : 125 mg quatre fois par jour pendant 10 jours. Moins chère, efficace pour les cas modérés, mais moins bonne pour éviter les rechutes.
Pour les cas récidivants - c’est-à-dire après deux épisodes ou plus - la transplantation fécale (FMT) est devenue le traitement de référence. Elle consiste à transférer des selles saines d’un donneur à un patient. Des essais cliniques montrent qu’elle réussit dans 85 à 90 % des cas, contre seulement 40 à 60 % avec la vancomycine. Depuis 2022, l’FDA autorise son utilisation sous une politique d’application discrète, ce qui en facilite l’accès.
Une nouvelle option est arrivée en 2023 : SER-109, un traitement à base de spores bactériennes purifiées. Approuvé par la FDA, il a montré une efficacité de 88 % pour prévenir une nouvelle infection sur 8 semaines dans les essais cliniques. C’est un pas vers une médecine plus ciblée, moins invasive que la FMT.
La prévention : l’arme la plus puissante
Il n’y a pas de vaccin. Il n’y a pas de pilule magique. La meilleure façon de lutter contre Clostridioides difficile est d’éviter qu’elle ne se développe en premier lieu.
La première règle : ne pas prescrire d’antibiotiques à la légère. Les programmes de maîtrise des antibiotiques dans les hôpitaux ont réduit les infections de 25 à 30 %. Cela signifie : ne pas prescrire d’antibiotiques pour une grippe, ne pas prolonger un traitement sans raison, choisir des antibiotiques à spectre étroit quand c’est possible.
La deuxième règle : désinfecter correctement. Les spores de Clostridioides difficile survivent des mois sur les poignées de porte, les toilettes, les lits. Les désinfectants classiques ne les tuent pas. Seuls les produits contenant de l’eau de Javel ou du peroxyde d’hydrogène, inscrits sur la liste K de l’EPA, sont efficaces. Dans les unités de soins, chaque surface doit être nettoyée avec ces produits après chaque patient.
La troisième règle : isoler les patients infectés. Port de gants et de blouses, utilisation d’équipements dédiés, chambres privées - ces mesures réduisent la transmission de 40 à 50 %. Même les visiteurs doivent respecter ces règles.
Et les probiotiques ?
Beaucoup pensent que prendre des probiotiques pendant un traitement antibiotique protège contre la diarrhée. C’est une idée répandue. Mais les preuves sont faibles. Une revue Cochrane de 2022, qui a analysé 39 études sur près de 10 000 patients, a conclu qu’il n’y a aucune preuve solide que les probiotiques empêchent l’infection par Clostridioides difficile. Ils peuvent légèrement réduire la diarrhée liée aux antibiotiques en général, mais pas celle causée spécifiquement par cette bactérie. L’American College of Gastroenterology recommande donc de ne pas les utiliser pour la prévention de la CDI.
Le futur : une médecine du microbiote
Les chercheurs ne se contentent plus de tuer la bactérie. Ils veulent restaurer l’écosystème intestinal. SER-109 n’est qu’un début. D’autres thérapies à base de microbiote sont en phase d’essai. L’objectif : remplacer les antibiotiques par des traitements qui rétablissent l’équilibre naturel, sans détruire la flore. Des tests génétiques pour identifier les souches hypervirulentes en temps réel sont aussi en développement. Dans le futur, on pourra peut-être prédire qui va développer une infection avant même qu’elle ne commence.
Que faire si vous pensez avoir une infection ?
Si vous prenez un antibiotique et que vous avez :
- Plus de trois selles liquides par jour,
- Des crampes abdominales persistantes,
- De la fièvre ou un malaise général,
- Des selles avec du sang,
Ne pensez pas que c’est normal. Contactez votre médecin. Dites-lui clairement que vous prenez un antibiotique. Plus vous agissez tôt, plus les chances de guérison sans complications sont grandes. Ne prenez pas de médicaments contre la diarrhée sans avis médical - ils peuvent piéger les toxines dans l’intestin et aggraver la maladie.
En résumé
Clostridioides difficile n’est pas une infection banale. Elle est causée par une perturbation du microbiote, souvent due à un antibiotique inutile. Elle touche surtout les personnes âgées, les hospitalisées, et celles avec des maladies chroniques. Le diagnostic est délicat. Le traitement a changé : la métronidazole est hors jeu, la fidaxomicine et la vancomycine sont maintenant les options de première ligne, et la transplantation fécale sauve des vies en cas de récidive. La prévention repose sur trois piliers : utiliser moins d’antibiotiques, désinfecter avec les bons produits, et isoler les patients infectés. Les probiotiques ne sont pas une solution. Le futur appartient aux thérapies du microbiote. Et la meilleure arme reste encore la prudence : ne pas prendre d’antibiotiques sans besoin.
Quelle est la différence entre la diarrhée liée aux antibiotiques et l’infection par Clostridioides difficile ?
La diarrhée liée aux antibiotiques (AAD) est un terme général qui désigne toute diarrhée qui commence pendant ou après un traitement antibiotique. Elle peut avoir plusieurs causes : irritation de l’intestin, changement du microbiote, ou infection par Clostridioides difficile. Environ 15 à 25 % des cas d’AAD sont causés par cette bactérie. Ce n’est pas une simple gêne digestive - c’est une infection bactérienne potentiellement grave qui nécessite un diagnostic spécifique et un traitement adapté.
Pourquoi la métronidazole n’est-elle plus recommandée pour traiter Clostridioides difficile ?
Les études montrent que la métronidazole a un taux d’échec plus élevé que la vancomycine ou la fidaxomicine, surtout dans les cas sévères. Elle est moins efficace contre les souches hypervirulentes comme la NAP1/027, et augmente le risque de récidive. Les directives de 2021 de l’IDSA et de la SHEA l’ont donc retirée du traitement de première intention. Elle n’est plus utilisée que dans des cas très spécifiques, comme en cas d’allergie aux autres traitements.
La transplantation fécale est-elle sûre ?
Oui, lorsqu’elle est réalisée avec des donneurs soigneusement dépistés. Les selles sont testées pour plus de 40 agents pathogènes, y compris le VIH, l’hépatite, les bactéries multirésistantes et les parasites. Les essais cliniques montrent un taux de réussite de 85 à 90 % pour les récidives de Clostridioides difficile. Les effets secondaires sont rares et généralement légers : ballonnements, crampes passagères. Le risque d’infection grave est extrêmement faible grâce aux protocoles de dépistage rigoureux.
Les probiotiques peuvent-ils prévenir l’infection par Clostridioides difficile ?
Non, selon les preuves les plus récentes. Une méta-analyse de 39 études (9 955 patients) publiée par Cochrane en 2022 a montré qu’il n’y a pas de réduction significative du risque d’infection par Clostridioides difficile avec les probiotiques. Ils peuvent réduire légèrement la diarrhée liée aux antibiotiques en général, mais pas celle causée par cette bactérie spécifique. L’American College of Gastroenterology recommande de ne pas les utiliser à cette fin.
Comment savoir si un désinfectant tue les spores de Clostridioides difficile ?
Vérifiez que le produit est inscrit sur la Liste K de l’EPA. Ce sont les seuls désinfectants approuvés pour tuer les spores de Clostridioides difficile. Les produits contenant de l’eau de Javel (hypochlorite de sodium) ou du peroxyde d’hydrogène sont les plus efficaces. Les désinfectants classiques comme les produits à base d’alcool ou de quaternaire d’ammonium ne tuent pas les spores - ils peuvent même les disperser sans les détruire.