Sécurité médicamenteuse chez les personnes âgées : répondre aux besoins spécifiques des patients âgés

Calculateur de risque de polypharmacie

Les médicaments peuvent sauver la vie - ou la mettre en danger

À 75 ans, Madeleine prend huit comprimés chaque jour. Un pour la pression, deux pour le diabète, un anti-inflammatoire pour les douleurs aux genoux, un somnifère, un antidépresseur, un anticholinergique pour la vessie, un anticoagulant, et une aspirine « pour la prévention ». Elle ne sait pas pourquoi elle prend tout ça. Son médecin ne l’a jamais expliqué. Ce n’est pas un cas isolé. En Suisse comme aux États-Unis, plus d’un tiers des hospitalisations chez les plus de 65 ans sont causées par des erreurs médicamenteuses. Ce n’est pas de la négligence. C’est un système mal conçu pour les corps qui changent avec l’âge.

Pourquoi les personnes âgées sont-elles plus vulnérables ?

Le corps d’une personne de 80 ans n’est pas celui d’une personne de 40 ans. Les reins filtrent moins bien. Le foie métabolise plus lentement. La masse musculaire diminue, ce qui change la façon dont les médicaments se répartissent dans le corps. Même une dose « normale » peut devenir toxique. Et quand on prend cinq, six, huit médicaments en même temps - ce qu’on appelle la polypharmacie - les interactions deviennent un jeu de roulette russe.

Les médicaments les plus dangereux pour les personnes âgées ne sont pas toujours les plus puissants. Ce sont souvent les plus courants : les benzodiazépines pour dormir, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) comme l’indométhacine pour les douleurs, ou les anticholinergiques pour la vessie. Ces médicaments augmentent le risque de chute, de confusion, d’insuffisance rénale, et même de démence. Selon une revue systématique publiée dans JAMA Network Open en 2025, les personnes âgées qui prennent des médicaments inappropriés ont 91 % plus de chances d’être hospitalisées pour une réaction indésirable, 60 % plus de chances de perdre leur autonomie, et 26 % plus de chances de subir un événement indésirable.

Les critères Beers : une boussole pour les prescripteurs

Depuis 1991, les critères Beers sont la référence mondiale pour identifier les médicaments trop risqués chez les personnes âgées. La dernière version, publiée en 2023, liste 139 médicaments ou classes de médicaments à éviter. Ce n’est pas une liste noire. C’est un guide pratique. Par exemple : les benzodiazépines sont à éviter pour les insomnies - sauf en cas d’urgence. Les AINS comme le kétoprofène sont interdits chez les personnes ayant une insuffisance rénale ou un risque de saignement. Et depuis 2023, l’aspirine n’est plus recommandée pour la prévention cardiaque chez les 70 ans et plus - pas parce qu’elle ne marche pas, mais parce que le risque de saignement l’emporte sur les bénéfices.

Le tramadol, un analgésique souvent prescrit pour les douleurs chroniques, a été ajouté à la liste en 2023. Pourquoi ? Parce qu’il peut provoquer une hyponatrémie - une baisse dangereuse du sodium dans le sang - surtout quand il est combiné à des diurétiques ou des antidépresseurs. C’est un exemple parfait : un médicament qui semble inoffensif, mais qui devient un piège dans un corps âgé.

La nouvelle liste des alternatives : ce qu’on peut prendre à la place

En juillet 2025, l’American Geriatrics Society a publié une mise à jour révolutionnaire : la liste des alternatives aux critères Beers. Pour la première fois, les médecins n’ont plus à se demander : « Qu’est-ce que je peux arrêter ? » mais aussi : « Qu’est-ce que je peux prescrire à la place ? »

Sur les 47 alternatives proposées, 38 % ne sont pas des médicaments du tout. Ce sont des solutions non pharmacologiques : exercice physique pour les douleurs articulaires, thérapie cognitivo-comportementale pour l’insomnie, stimulation du bassin pour l’incontinence. Pour les troubles du sommeil, au lieu du zolpidem, on recommande une routine de sommeil stricte, une exposition à la lumière naturelle le matin, et la réduction des écrans avant le coucher. Pour la douleur chronique, la physiothérapie et la thermothérapie sont souvent plus efficaces que les AINS.

Cette liste a été créée parce que 68 % des médecins de famille disaient ne pas savoir quoi prescrire quand ils voulaient arrêter un médicament inapproprié. La liste des alternatives change la donne. Ce n’est plus une question de « retirer » - c’est une question de « remplacer ».

Un patient âgé quittant l'urgence avec de nouveaux médicaments, tandis qu'un pharmacien montre des alternatives sécurisées.

Les urgences : un point critique

Les services d’urgence sont le point de rupture. Une personne âgée tombe, se blesse, est admise, reçoit un analgésique puissant, un anxiolytique, et repart à la maison avec trois nouveaux médicaments - sans suivi. C’est là que les GEMS-Rx (Geriatric Emergency Medication Safety Recommendations) entrent en jeu. Développés en mars 2024, ces protocoles ciblent huit classes de médicaments à éviter à la sortie des urgences : antipsychotiques, benzodiazépines, anticholinergiques, AINS, opioïdes, etc.

À Rochester, au Mayo Clinic, un programme multidisciplinaire - avec un pharmacien, un gériatre et un médecin des urgences - a réduit les médicaments inappropriés de 38 % en six mois. Comment ? En vérifiant chaque ordonnance avant la sortie, en discutant avec le patient, en proposant des alternatives. Mais cela a pris 12 semaines de formation et de réorganisation du travail. Ce n’est pas facile. Mais c’est possible.

Les défis : alertes trop nombreuses, manque de formation

Les systèmes informatiques de santé, comme Epic, intègrent les critères Beers dans leurs alertes. Mais beaucoup de médecins les ignorent. Pourquoi ? Parce qu’elles sont trop nombreuses. Un médecin à Lausanne a raconté sur un forum : « L’alerte sonne pour chaque patient de plus de 65 ans, même quand il prend du warfarine pour une fibrillation auriculaire - un médicament parfaitement approprié. » Résultat : 65 % des alertes sont ignorées. C’est l’effet de fatigue des alertes. Le système se met à crier pour tout, et personne n’écoute plus.

Un autre problème : peu de médecins ont une formation en gériatrie. Seuls 3,2 % des pharmaciens en Suisse sont spécialisés en gériatrie, alors que les personnes âgées représentent 16 % de tous les utilisateurs de médicaments. La Société américaine de pharmacie recommande 20 heures de formation continue par an. Très peu de professionnels les suivent.

Le futur : une approche intégrée

Le vrai progrès ne viendra pas d’une seule alerte ou d’un seul protocole. Il viendra d’une nouvelle façon de soigner. Le modèle idéal ? Une équipe : un pharmacien gériatre, un médecin de famille, un infirmier coordinateur, et un patient bien informé. Le patient n’est pas un objet de traitement - c’est un acteur du soin.

Les hôpitaux qui ont mis en place ce modèle ont vu une réduction de 34,7 % des événements indésirables - presque le double de ce qu’offrent les seuls systèmes informatiques. Et les coûts ont baissé. Selon l’American Journal of Geriatric Pharmacotherapy, les problèmes liés aux médicaments coûtent 528 milliards de dollars par an aux États-Unis. En Suisse, ce chiffre grimpe avec le vieillissement de la population.

Le système de santé doit passer d’une logique de « prescrire » à une logique de « protéger ». Ce n’est pas une question de technologie. C’est une question de culture. De respect. De temps.

Une équipe soignante et un patient âgé en cercle, entourés d'icônes de traitements médicamenteux et non médicamenteux.

Que faire si vous ou un proche êtes concerné ?

  • Exigez une revue complète de tous vos médicaments au moins une fois par an - même si vous vous sentez bien.
  • Apportez une liste écrite de tous les médicaments (y compris les suppléments et les herbes) à chaque consultation.
  • Posez la question : « Est-ce que ce médicament est encore nécessaire ? »
  • Si un médecin veut arrêter un médicament, demandez : « Qu’est-ce qu’on peut faire à la place ? »
  • Ne laissez pas un pharmacien vous dire que « c’est normal » d’en prendre beaucoup. Ce n’est pas normal. C’est dangereux.

Les chiffres qui parlent

  • 17 % de la population suisse a plus de 65 ans - et ce chiffre atteindra 21 % d’ici 2030.
  • 33 % des hospitalisations chez les plus de 65 ans sont liées à un problème médicamenteux.
  • Les médicaments inappropriés augmentent le risque d’hospitalisation de 91 %.
  • Seuls 31 % des urgences rurales ont un programme complet de sécurité médicamenteuse.
  • Les programmes avec pharmacien gériatre réduisent les événements indésirables de 34,7 % - contre 18,3 % sans soutien humain.

Le message final

Prendre un médicament, c’est une décision lourde. Pour une personne âgée, c’est une question de sécurité, d’autonomie, de dignité. Les critères Beers, la liste des alternatives, les protocoles GEMS-Rx - ce ne sont pas des outils bureaucratiques. Ce sont des armes contre l’oubli. L’oubli que les corps vieillissent. L’oubli que moins de médicaments peut parfois signifier plus de vie. Et l’oubli que derrière chaque ordonnance, il y a une personne - pas un chiffre, pas un code RxNorm, pas une alerte d’ordinateur. Une personne qui mérite d’être entendue.

Quels sont les médicaments les plus dangereux pour les personnes âgées ?

Les médicaments les plus risqués incluent les benzodiazépines (somnifères comme le lorazépam), les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS comme l’indométhacine), les anticholinergiques (pour la vessie ou les allergies), les opioïdes comme la mépéridine, et les antipsychotiques utilisés pour traiter la démence. Ces médicaments augmentent le risque de chute, de confusion, d’insuffisance rénale et de décès. Les critères Beers 2023 les identifient clairement comme inappropriés pour la plupart des personnes âgées.

Qu’est-ce que la polypharmacie et pourquoi est-elle dangereuse ?

La polypharmacie signifie prendre cinq médicaments ou plus simultanément. Chez les personnes âgées, elle augmente considérablement le risque d’interactions médicamenteuses, d’effets secondaires et d’erreurs de prise. Chaque médicament ajouté augmente le risque d’hospitalisation. Une étude montre que chaque médicament inapproprié supplémentaire augmente le risque d’événement indésirable de 26 %. Il n’y a pas de seuil magique - mais plus on prend, plus on court un risque.

Les critères Beers s’appliquent-ils à tous les patients âgés ?

Non. Les critères Beers sont des recommandations générales, pas des règles absolues. Ils ne s’appliquent pas aux patients en soins palliatifs ou en fin de vie. Par exemple, un antipsychotique peut être justifié pour un patient âgé souffrant de psychose sévère, même s’il est normalement interdit. L’important est d’adapter le traitement aux objectifs de soin de chaque patient : veut-il vivre plus longtemps ? Ou vivre mieux, même si cela signifie moins de traitement ?

Comment savoir si un médicament peut être arrêté ?

Demandez à votre médecin ou à votre pharmacien : « Pourquoi ce médicament a-t-il été prescrit ? Est-ce qu’il est toujours nécessaire ? Y a-t-il une alternative plus sûre ? » Si le médicament a été prescrit il y a plus de 5 ans sans réévaluation, il est très probable qu’il puisse être arrêté - ou réduit. Les programmes de déprescription bien menés réduisent les médicaments inappropriés de 42 % chez les patients suivis par un pharmacien gériatre.

Les alternatives non médicamenteuses fonctionnent-elles vraiment ?

Oui, souvent mieux que les médicaments. Pour les douleurs articulaires, l’exercice régulier et la physiothérapie sont plus efficaces que les AINS à long terme. Pour l’insomnie, la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) est plus durable qu’un somnifère. Pour l’incontinence, les exercices du plancher pelvien réduisent les fuites de 60 %. La liste des alternatives des critères Beers 2025 propose 18 alternatives non médicamenteuses validées - et 89 % des professionnels les trouvent très utiles.

Prochaines étapes pour les familles et les soignants

Si vous êtes parent, enfant ou proche d’une personne âgée : organisez une « revue médicamenteuse » annuelle. Rassemblez tous les comprimés, les gélules, les patchs, les gouttes. Apportez-les à un pharmacien ou à un médecin spécialisé en gériatrie. Posez les bonnes questions. Ne laissez pas les alertes informatiques décider pour vous. La sécurité médicamenteuse, c’est une conversation. Et c’est une question de vie ou de mort.

3 Commentaires

Nicole Gamberale
Nicole Gamberale
  • 6 décembre 2025
  • 11:05

Je vais être honnête : j’ai arrêté l’aspirine à 72 ans après avoir lu ça. Et devinez quoi ? Je me sens mieux. Pas de saignements, pas de nausées, juste une vie plus légère. 🙌✨ #DéprescriptionCestLaVie

Alexis Butler
Alexis Butler
  • 6 décembre 2025
  • 16:41

Ah oui, bien sûr, les critères Beers... comme si une liste américaine pouvait remplacer la sagesse clinique d’un médecin français qui connaît son patient depuis 20 ans. On a vu ce que la standardisation a fait à la gastronomie - maintenant on veut l’appliquer à la médecine ? C’est pathétique. 🤷‍♂️

Clementine McCrowey
Clementine McCrowey
  • 7 décembre 2025
  • 02:24

Si tu as un parent qui prend 8 comprimés par jour, parle-lui. Doucement. Avec amour. Et emmène-le voir un pharmacien gériatre. C’est pas compliqué. Juste important. 💪❤️

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