Exclusivité des médicaments orphelins : la protection des traitements pour les maladies rares

En 1983, les États-Unis ont créé un système révolutionnaire pour sauver des vies que personne d’autre ne voulait sauver. À l’époque, moins de 40 traitements avaient été développés pour les maladies rares depuis 20 ans. Aujourd’hui, plus de 1 000 médicaments orphelins sont approuvés. Ce changement n’est pas le fruit du hasard. Il vient d’une règle simple : si vous développez un traitement pour une maladie affectant moins de 200 000 personnes aux États-Unis, vous obtenez sept ans d’exclusivité commerciale - même si votre brevet expire.

Qu’est-ce que l’exclusivité des médicaments orphelins ?

L’exclusivité des médicaments orphelins est une protection réglementaire accordée par la FDA aux entreprises qui développent des traitements pour des maladies rares. Ce n’est pas un brevet. Ce n’est pas une subvention. C’est une règle claire : la première entreprise à obtenir l’approbation de la FDA pour un médicament donné contre une maladie rare se voit accorder sept ans d’exclusivité. Pendant cette période, la FDA ne peut pas approuver un autre médicament identique pour la même maladie, sauf si le nouveau produit prouve une supériorité clinique.

La définition d’une maladie rare aux États-Unis est stricte : elle doit affecter moins de 200 000 personnes par an, ou le coût de développement ne peut pas être récupéré sur le marché. Cela signifie que des maladies comme la maladie de Gaucher, la dystrophie musculaire de Duchenne ou le syndrome de Lambert-Eaton - qui touchent parfois moins de 5 000 patients - peuvent devenir des cibles viables pour les laboratoires.

Comment ça marche en pratique ?

Imaginez deux entreprises qui travaillent sur le même médicament pour traiter une maladie rare. L’une développe le traitement en 2020, l’autre en 2022. La première termine ses essais cliniques, soumet son dossier à la FDA et obtient l’approbation en 2024. Dès ce moment, elle bénéficie de sept ans d’exclusivité. La deuxième entreprise, même si elle a un produit identique, ne peut pas entrer sur le marché avant 2031 - à moins qu’elle ne démontre que son traitement est cliniquement supérieur.

Ce que signifie « supériorité clinique » ? Cela veut dire : une meilleure efficacité, une réduction significative des effets secondaires, ou une voie d’administration plus pratique (ex. : comprimé au lieu d’injection quotidienne). Depuis 1983, cette barrière n’a été franchie que trois fois. C’est très difficile. La plupart des entreprises qui tentent de contourner l’exclusivité échouent.

Et si le médicament est utilisé pour d’autres maladies ? L’exclusivité ne protège que l’indication orpheline. Par exemple, un médicament approuvé pour une maladie rare peut être prescrit en dehors de cette indication - et des génériques peuvent alors arriver sur ces autres marchés. C’est ce qui s’est passé avec le amifampridine, approuvé pour le syndrome de Lambert-Eaton en 2019. Il existait déjà pour d’autres usages, et les génériques sont arrivés sur ces indications non protégées.

Comparaison : États-Unis vs Union européenne

Les États-Unis offrent sept ans d’exclusivité. L’Union européenne, elle, en offre dix. Mais ce n’est pas tout. En Europe, si une entreprise réalise des études pédiatriques sur le médicament, elle peut obtenir deux ans de prolongation - soit douze ans au total. En revanche, l’UE peut réduire l’exclusivité à six ans si le médicament génère des revenus très élevés - une clause absente aux États-Unis.

En pratique, les deux systèmes fonctionnent de la même manière : c’est la première approbation qui compte. Mais la durée plus longue en Europe attire plus de projets. En 2023, l’EMA avait approuvé 172 médicaments orphelins, contre 1 085 aux États-Unis depuis 1983. La différence vient aussi du nombre de désignations : plus de 6 500 ont été accordées aux États-Unis, contre environ 1 500 en Europe.

Course stylisée entre deux entreprises pharmaceutiques vers l'approbation FDA, avec une barrière d'exclusivité.

Le vrai moteur : pourquoi les entreprises investissent

Le coût moyen de développer un médicament orphelin est de 150 millions de dollars. Pour une maladie touchant 8 000 patients, vendre chaque traitement à 500 000 dollars par an, c’est la seule façon de rentabiliser. Sans exclusivité, aucune entreprise ne prendrait ce risque.

En 2022, les ventes mondiales de médicaments orphelins ont atteint 217 milliards de dollars - soit 24,3 % de l’ensemble du marché pharmaceutique. C’est presque un quart. En 2018, c’était 16,1 %. Cette croissance n’est pas due à la seule innovation. Elle vient de la certitude que le marché sera protégé.

Les brevets, eux, ne suffisent pas. Selon IQVIA, sur les 503 médicaments orphelins approuvés entre 1983 et 2018, seuls 60 ont été protégés plus longtemps par l’exclusivité que par le brevet. Dans 88 % des cas, c’est le brevet qui fait le travail principal. Mais l’exclusivité est la sécurité supplémentaire - celle qui fait la différence quand le brevet expire.

Les abus et les controverses

Comme tout système, celui-ci est parfois détourné. Certains laboratoires ont demandé des désignations orphelines pour des médicaments déjà très rentables. Le cas le plus célèbre est celui de l’Humira - un traitement pour l’arthrite, vendu à des milliards de dollars, qui a obtenu plusieurs désignations orphelins pour des indications mineures. Cela a permis de prolonger son monopole.

Des critiques disent que cela crée des monopoles artificiels. D’autres rétorquent que sans cette flexibilité, aucune entreprise ne chercherait à développer des traitements pour des maladies ultra-rares. Le système est conçu pour encourager l’innovation, pas pour punir la réussite.

La FDA a réagi en 2023 en publiant un guide pour clarifier ce qu’on appelle le « même médicament ». Avant, les entreprises pouvaient jouer sur les détails pour contourner l’exclusivité. Maintenant, la barre est plus haute. La règle est simple : si c’est la même molécule, pour la même maladie, c’est la même exclusivité.

Balance entre un patient et un montant d'argent élevé, représenté en formes géométriques rouges, bleues et jaunes.

Comment une entreprise se prépare

Une bonne stratégie commence tôt. Les entreprises soumettent leur demande de désignation orpheline dès la phase 1 des essais cliniques. La FDA traite ces demandes en environ 90 jours, et 95 % sont approuvées si les données sur la prévalence sont solides.

Il faut aussi anticiper la concurrence. Si plusieurs entreprises ciblent la même maladie, c’est une course contre la montre. Le premier à l’approbation gagne. Les entreprises investissent donc des mois à préparer les études épidémiologiques, à convaincre les autorités que la maladie est bien rare, et à structurer leurs essais pour maximiser les chances d’être premier.

Les entreprises qui réussissent savent que l’exclusivité n’est pas une fin en soi. C’est un outil pour financer la recherche. Le vrai but, c’est d’arriver à un traitement qui change la vie des patients - et de le faire avant que les autres ne le fassent.

Le futur de l’exclusivité

En 2023, 51 % des nouveaux médicaments approuvés par la FDA avaient une désignation orpheline. En 2027, selon Deloitte, ce chiffre atteindra 72 %. Les maladies rares ne sont plus une niche. Ce sont les nouvelles priorités de l’industrie.

L’Union européenne envisage de réduire son exclusivité de dix à huit ans pour les médicaments très rentables. Les États-Unis, eux, n’envisagent pas de changer leur système. Pourquoi ? Parce que ça marche. Plus de 78 % des groupes de patients aux États-Unis considèrent cette exclusivité comme essentielle. Et 94 % des entreprises pharmaceutiques la jugent « critique » pour leur stratégie.

Le défi maintenant, ce n’est plus de convaincre qu’il faut protéger les médicaments orphelins. C’est de s’assurer qu’ils restent accessibles. Les prix élevés sont une conséquence directe de ce système - et c’est là que la pression monte. Mais sans cette exclusivité, il n’y aurait pas de médicaments du tout.

L’exclusivité des médicaments orphelins est-elle la même partout dans le monde ?

Non. Aux États-Unis, elle dure sept ans à partir de l’approbation de la FDA. Dans l’Union européenne, elle dure dix ans, avec possibilité d’extension à douze ans si des études pédiatriques sont menées. D’autres pays, comme le Japon ou le Canada, ont des systèmes similaires, mais avec des durées et des conditions différentes. Il n’existe pas de norme mondiale.

L’exclusivité empêche-t-elle les génériques d’entrer sur le marché ?

Seulement pour la même maladie et le même médicament. Si un médicament est approuvé pour une maladie rare et aussi pour une maladie courante, les génériques peuvent entrer sur le marché pour cette dernière indication. L’exclusivité ne protège que l’indication orpheline.

Pourquoi les entreprises cherchent-elles autant de désignations orphelines ?

Parce que chaque désignation orpheline donne droit à une exclusivité séparée. Une même molécule peut être approuvée pour plusieurs maladies rares. Chaque fois, elle obtient sept ans d’exclusivité pour cette indication. Cela permet de prolonger artificiellement le monopole - un phénomène appelé « salami slicing » par les critiques.

L’exclusivité protège-t-elle les brevets ?

Non. Ce sont deux systèmes différents. Le brevet protège la molécule ou la méthode de fabrication. L’exclusivité protège l’usage contre une maladie rare. Un médicament peut avoir un brevet expiré mais encore bénéficier de l’exclusivité - et inversement.

Les patients paient-ils plus cher à cause de cette exclusivité ?

Oui, souvent. Les prix des médicaments orphelins sont parmi les plus élevés au monde - certains dépassent 1 million de dollars par an. C’est parce que les coûts de développement sont répartis sur un très petit nombre de patients. Mais sans cette exclusivité, ces médicaments n’existeraient pas. Le défi est d’équilibrer l’innovation et l’accessibilité.