Quand la vitamine E rend la warfarine plus dangereuse
Vous prenez de la warfarine pour prévenir les caillots sanguins. Vous avez entendu dire que la vitamine E est bonne pour la peau, le cœur, et même pour ralentir le vieillissement. Alors vous décidez d’en prendre un complément. Mais ce geste simple pourrait vous mettre en danger. Des études montrent que la vitamine E, surtout à forte dose, peut amplifier l’effet de la warfarine, augmentant le risque de saignements graves - parfois mortels.
La warfarine, un anticoagulant prescrit depuis les années 1950, agit en bloquant la vitamine K, nécessaire à la fabrication des protéines qui font coaguler le sang. Pour que ça marche bien, votre taux INR doit rester dans une zone étroite : trop bas, vous risquez un caillot ; trop haut, vous saignez. Maintenir cet équilibre est déjà délicat avec les aliments, les médicaments, et même les changements d’heure. Ajoutez-y de la vitamine E, et tout peut basculer.
Comment la vitamine E interfère avec la warfarine
La vitamine E n’est pas un simple antioxydant. À haute dose, elle agit comme un antiplaquettaire - elle empêche les plaquettes sanguines de s’agglutiner. C’est exactement ce que fait la warfarine, mais par un autre chemin. Ensemble, ils agissent comme deux freins sur la même voiture. Résultat ? Le sang met beaucoup plus de temps à coaguler.
Un cas clinique publié dans la littérature médicale décrit un patient de 72 ans qui prenait 800 UI de vitamine E par jour. Pendant trois semaines, tout allait bien. Puis, au quatrième jour, il a commencé à avoir des ecchymoses inexpliquées. Son INR est passé de 2,8 à 6,1 - un niveau qui augmente considérablement le risque d’hémorragie cérébrale. Il a dû être hospitalisé. Ce n’est pas un cas isolé.
Une étude de 2013 publiée dans le Journal of the American Heart Association a suivi 1 011 patients atteints de fibrillation auriculaire et sous warfarine. Résultat : ceux qui avaient un taux de vitamine E dans le sang supérieur à 5,56 μmol/mmol de cholestérol avaient un risque de saignement majeur plus que doublé. Ce n’était pas lié à leur âge, à leur pression artérielle, ni même à leur score HAS-BLED. La vitamine E elle-même était un facteur indépendant.
Les doses qui posent problème - et celles qui ne sont pas sûres non plus
Il n’y a pas de seuil magique, mais les experts s’accordent sur un point : au-delà de 400 UI par jour, le risque augmente de façon significative.
- À 400 UI : risque modéré, mais possible chez les personnes sensibles
- À 800 UI : risque clairement documenté dans plusieurs cas cliniques
- À 1 200 UI : risque élevé - des saignements ont été observés même chez des patients avec un INR stable
Une étude de 1996, souvent citée pour dire que la vitamine E est « sûre », n’a montré aucun changement d’INR - mais elle n’a duré que quelques semaines et n’a utilisé que 400 UI. Les effets cumulatifs, les variations génétiques, et les interactions à long terme n’ont pas été mesurés. Or, la plupart des patients prennent des compléments pendant des années.
Et ce n’est pas seulement la dose qui compte. Certains patients ont des gènes (CYP2C9, VKORC1) qui rendent leur corps plus sensible à la warfarine. Pour eux, même 100 UI de vitamine E peuvent être trop. Il n’y a pas de règle universelle - seulement des alertes.
Que disent les guides médicaux ?
Les recommandations sont claires, même si les études ne le sont pas toujours.
- L’American College of Chest Physicians (2012) recommande d’éviter la vitamine E à haute dose chez les patients sous warfarine (niveau de preuve 2C).
- L’Université de Californie à San Diego interdit formellement la vitamine E dans ses protocoles d’anticoagulation.
- L’American Heart Association (2009) a averti que les doses supérieures à 400 UI peuvent augmenter le risque d’hémorragie cérébrale.
- La Société Européenne de Cardiologie (2023) suggère désormais de mesurer le taux de vitamine E chez les patients qui ont des saignements inexpliqués.
Les fabricants de warfarine, comme Coumadin, mentionnent simplement dans leur notice : « Attention aux produits naturels. » C’est vague. Trop vague.
Combien de personnes prennent vraiment de la vitamine E ?
Beaucoup plus que vous ne pensez.
En 2022, les ventes de compléments de vitamine E aux États-Unis ont dépassé 287 millions de dollars. Près de 77 % des adultes américains prennent au moins un complément. La vitamine E est la troisième plus populaire - après la vitamine D et l’huile de poisson. La plupart des gélules contiennent entre 100 et 400 UI. Mais certaines, vendues comme « antioxydant puissant » ou « pour la santé cardiovasculaire », en contiennent jusqu’à 1 200 UI.
Et les patients ne disent pas toujours à leur médecin qu’ils en prennent. Ils pensent que c’est « naturel », donc inoffensif. Ce n’est pas vrai. Un complément n’est pas un bonbon.
Que faire si vous prenez déjà de la vitamine E ?
Si vous êtes sous warfarine et que vous prenez de la vitamine E - même à faible dose - voici ce qu’il faut faire maintenant.
- Arrêtez de prendre le complément, sauf si votre médecin vous dit le contraire.
- Ne le reprenez jamais sans consulter votre médecin ou votre pharmacien.
- Si vous avez déjà pris de la vitamine E au cours des 4 dernières semaines, demandez un contrôle de votre INR. Les effets peuvent être retardés.
- Si vous avez des ecchymoses, des saignements de gencives, des urines roses ou foncées, ou des maux de tête soudains - allez aux urgences.
Si vous insistez pour continuer la vitamine E, votre médecin devra :
- Faire un INR de base avant de commencer
- Contrôler l’INR chaque semaine pendant au moins un mois
- Continuer les contrôles toutes les deux semaines ensuite
- Considérer la mesure du taux sanguin de vitamine E si les saignements persistent
Cela signifie 3 à 5 visites supplémentaires par an. Un coût en temps, en argent, et en stress. Est-ce que ça vaut le coup ? Pour la plupart des gens, non.
Les alternatives : que prendre à la place ?
Si vous voulez un antioxydant pour protéger vos cellules, il y a des options bien plus sûres.
- La vitamine C : pas d’interaction connue avec la warfarine.
- Le sélénium : présent dans les noix du Brésil, sans effet sur la coagulation.
- Les aliments riches en antioxydants : baies, épinards, carottes, tomates - ils apportent de la vitamine E naturelle, en quantité modérée, avec d’autres nutriments qui équilibrent les effets.
La vitamine E naturelle, dans les aliments, ne pose pas de problème. C’est la dose concentrée des compléments qui est dangereuse. Votre assiette est votre meilleur complément.
Le futur : vers une médecine plus personnalisée
La recherche évolue. On commence à comprendre pourquoi certains patients réagissent à la vitamine E et d’autres non. Des variations génétiques dans les gènes CYP2C9 et VKORC1 expliquent en partie cette sensibilité. Dans le futur, un simple test génétique pourrait dire si vous êtes à risque.
Les chercheurs travaillent aussi à des outils numériques qui intègrent les niveaux de vitamine E dans les algorithmes de risque de saignement. Imaginez : votre application de suivi de la warfarine vous alerte automatiquement si votre taux de vitamine E dépasse un seuil critique.
Mais pour l’instant, la règle est simple : évitez les compléments de vitamine E si vous prenez de la warfarine. Ce n’est pas une question de « peut-être ». C’est une question de sécurité.
La vitamine E naturelle dans les aliments est-elle dangereuse avec la warfarine ?
Non. La vitamine E présente naturellement dans les aliments - comme les noix, les huiles végétales, les épinards ou les avocats - ne pose pas de risque. Les problèmes viennent uniquement des doses concentrées des compléments alimentaires, généralement supérieures à 400 UI par jour. Manger une poignée d’amandes ou arroser votre salade d’huile de tournesol est parfaitement sûr.
Puis-je reprendre la vitamine E après avoir arrêté la warfarine ?
Oui, mais seulement après que votre médecin a confirmé que vous n’avez plus besoin de warfarine. Même après l’arrêt, il faut attendre quelques semaines pour que l’effet de la warfarine disparaisse complètement. Ensuite, vous pouvez reprendre la vitamine E si vous le souhaitez - mais toujours avec modération et en discutant avec votre médecin, surtout si vous avez un antécédent de saignement.
Les autres anticoagulants comme le Xarelto ou le Eliquis sont-ils aussi sensibles à la vitamine E ?
Les données sont limitées, mais les risques semblent plus faibles. Les anticoagulants directs (DOACs) comme le rivaroxaban ou l’apixaban n’agissent pas sur la voie de la vitamine K, donc l’interaction avec la vitamine E est moins probable. Cependant, comme la vitamine E a aussi un effet antiplaquettaire, certains experts recommandent encore de la prudence, surtout à haute dose. Il vaut mieux éviter les compléments à haute dose, même avec ces médicaments.
Pourquoi les médecins ne parlent-ils pas plus de cette interaction ?
Parce que les études sont contradictoires, et que beaucoup de patients ne disent pas qu’ils prennent des compléments. De plus, les suppléments ne sont pas réglementés comme des médicaments - les fabricants ne sont pas obligés de tester les interactions. Les médecins savent qu’il y a un risque, mais ils ne peuvent pas le prouver à chaque patient. C’est pourquoi il est crucial que vous les en informiez vous-même.
Quels autres compléments doivent être évités avec la warfarine ?
Plusieurs autres compléments augmentent le risque de saignement : l’huile de poisson, l’ail, le gingembre, le ginkgo biloba, le curcuma, et le ginseng. Même certains thés verts à haute dose peuvent interférer. Toujours demander à votre médecin ou pharmacien avant de prendre un nouveau complément, même s’il est « naturel ».
4 Commentaires
Angelique Reece
J’ai pris 400 UI pendant 6 mois sans rien sentir… jusqu’au jour où j’ai fait une ecchymose sur la cuisse en me réveillant. J’ai cru que j’avais été agressé. Mon INR était à 6,3. J’ai arrêté. Je respire mieux maintenant. 🌿
Didier Djapa
Il est essentiel de reconnaître que les compléments alimentaires ne sont pas soumis aux mêmes normes que les médicaments. Le fait qu’un produit soit naturel ne le rend pas inoffensif, surtout en combinaison avec des anticoagulants.
Guillaume Carret
Ah oui bien sûr, la vitamine E, le nouveau Voldemort de la cardiologie. Pendant ce temps, mon cousin qui prend 20 gélules de ginseng par jour et qui boit du jus de pamplemousse, il est en pleine forme. 🙄
marielle martin
J’ai arrêté la vitamine E après avoir lu ça et j’ai commencé à manger des amandes tous les matins. Je me sens plus vivante, moins stressée, et mon INR est stable. La nature a tout ce qu’il faut, on a juste oublié de manger.